mercredi 30 mars 2011

Cachez ce sein que je ne saurais voir !

La commissaire européenne à la Justice, Viviane Reding, a déclaré qu'il serait illégal à partir de Décembre 2012, de pratiquer des tarifs d'assurance différents pour les hommes et les femmes: "une compagnie d'assurance ne doit pas faire distinction entre les femmes et les hommes et tous les consommateurs doivent être traités sur un pied d'égalité", a-t-elle expliqué.

Cette chronique pourrait fournir matière à discuter de ces lois pondues à Bruxelles par des commissaires que personne ne connait et dont le pouvoir excède largement celui de tout Ministre national d'un gouvernement élu, mais elle présente un autre intérêt: elle est une petite manifestation en elle-même anecdotique, mais qui démontre l'absurdité de l'idéologie dominante des luttes contre les discriminations et par extension, de l'antiracisme.

Cette loi semble offusquer beaucoup de gens alors qu'elle n'est pourtant que la simple application de principes idéologiques pour lesquels on se montre moins sévère; or, si l'application d'un principe est absurde, il faut en tirer les conséquences et contester ledit principe. Je suis également pour qu'on cesse de prendre en compte l'âge ou les éventuels handicaps dans les tarifs des assurances: décide-t-on de problèmes de vue, ou de sa date de naissance ? Non. Il est donc scandaleux d'en tenir compte - de "discriminer", donc, les clients. Ne nous limitons pas aux tarifs d'assurances. Allons plus loin: pourquoi le maladroit, l'inattentif, l'étourdi, devraient-ils payer plus leur assurance ? Ont-ils plus d'accidents parce que ceci leur plait d'en avoir ? Non. Il est donc scandaleux de les "discriminer" eux aussi.

On le voit donc, les théories sur les "discriminations" comportent en réalité en leur sein, et de façon paradoxale, une propension à araser les "Différences", et à nier leurs manifestations dans la vie sociale. Et pourtant, si la "Différence" existe en matière philosophique et dans l'art de la rhétorique politique, alors ce par quoi elle existe, ce par quoi elle se manifeste, ce par quoi elle se remarque dans la vie sociale, existe tout autant ! Si donc encore, un des attributs de la vieillesse est d'être moins disposé à ce qui demande de  l'attention et des réflexes, eh bien soit ! qu'on assume pleinement qu'un vieillard ait de plus grands risques de causer des accidents au volant.

L'idéologie de notre temps se manifeste par une extrême pudibonderie dès qu'il s'agit de définir ce qui est; aprés tout,l'activité de définir consiste en grande partie à discriminer, car dire ce  qu'une chose est revient partiellement à dire ce qu'elle n'est pas. Notre société est donc à l'aise quand il s'agit de manipuler des idées et des concepts ("Vieux", "Femme", "Arabe"...), mais devient soudainement allergique aux mots qu'il faut pourtant bien employer pour définir cette "différence" et dire par quoi elle est précisément différente. Curieux paradoxe, curieuse chasteté dont l'ordre est en réalité religieux. Chaque Église et chaque époque ont leurs dogmes, leurs tabous, et leurs hérétiques.

Concluons avec une petite incursion littéraire dans une autre époque et dans d'autres moeurs:
Quelle serait une société universelle qui n’aurait point de pays particulier, qui ne serait ni française, ni anglaise, ni allemande, ni espagnole, ni portugaise, ni italienne, ni russe, ni tartare, ni turque, ni persane, ni indienne, ni chinoise, ni américaine, ou plutôt qui serait à la fois toutes ces sociétés ? Qu’en résulterait-il pour son intelligence, ses mœurs, ses sciences, ses arts, sa poésie ? Vous dînerez à Paris, et vous souperez à Pékin, grâce à la rapidité des communications ; à merveilles ; et puis ? Comment s’exprimeraient des passions ressenties à la fois à la manière des différents peuples dans les différents climats ? Comment entrerait dans le langage cette confusion de besoins et d’images produits des divers soleils qui auraient éclairé une jeunesse, une virilité et une veillesse communes ? Et quel serait ce langage ? De la fusion des sociétés résultera-t-il un idiome universel, ou bien y aura-t-il un dialecte de transaction servant à l’usage journalier, tandis que chaque nation parlerait sa propre langue, ou bien les langues diverses seraient-elles entendues de tous ? Sous quelle règle semblable, sous quelle loi unique existerait cette société panthéiste? Quelle foi ou quelle incrédulité serait adoptée par les Chrétiens de toutes les sectes, par les Juifs, les Mahométans d’opinions variées, par les Bouddhistes, les adorateurs de Foe et les idolâtres ? Comment trouver place sur une terre agrandie par la puissance d’ubiquité, et rétrécie par les petites proportions d’un globe fouillé partout ? Il ne resterait qu’à demander à la science le moyen de changer de planète.




Chateaubriand, Mémoires d'Outre-Tombe

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