mercredi 30 mars 2011

Une illustration de la puissance du lobby bancaire.

Depuis les années Trente existe une loi de bon sens qui interdit le mélange de la banque d'investissement (celle qui spécule), avec la banque de détail (celle qui abrite et prête l'argent des épargnants). Ceci est le Glass-Steagall Act, institué en 1933 aprés la crise.

Première chose donc, tous ceux qui prennent des airs de prix Nobel pour nous dire qu'il faut séparer les deux activités, n'inventent pas le fil à couper le beurre: ils réinventent une loi qui existait avant qu'ils ne soient nés, et qui a été supprimée dans des conditions ahurissantes il y a une quinzaine d'années, conditions qui fournissent la matière à ce billet.

En 98 se prépare l'une des plus grandes fusion de l'histoire: celle de la banque Citicorp, avec la banque d'investissement Travellers. Le bébé s'appellera Citigroup. On se demande cependant comment l'idée et la préparation se cette fusion a pu se dérouler puisqu'elle est purement est simplement illégale au regard du Glass-Steagall Act mentionné plus haut...

Sanford Weill, le chef de Travellers, explique cependant dans une interview d'Avril 98, que cette embuche ne le préoccupe pas et qu'il est confiant que d'ici quelques années "la législation changera". Curieuse assurance dans un état de droit où les lois sont votées par des représentants démocratiquement élus !

Sanford Weill, the Travelers chairman, said he expected the Fed to quickly approve his company's application to become a bank holding company and added: "I don't think we have to spin anything off to make this happen."

Current law, he said, allows at least two and as many as five years for prohibited assets to be divested. "We are hopeful that over that time the legislation will change," he added.

He said the companies had already had talks with the Fed about specific legal impediments and said, "We have had enough discussions to believe this will not be a problem."


Et en effet en 1999 l'administration Clinton déboulonne cette régulation qui eût pu contrarier les desseins de nos financiers; bienvenue au Gramm–Leach–Bliley Act. Depuis, d'autres groupes ont ete créés sur des fusions similaires (Bank of America...).

Les deux prix Nobel d'économie Krugman et Stiglitz sont sans détour sur la question: les dérégulations de l'ère Clinton et du clan bancaire des Greenspan et compagnie, sont directement responsables de la crise et de la financiarisation de toute l'économie.
 

Obama est évidemment du même avis, et affiche en surface une certaine hostilité aux exaction du monde bancaire... le problème est que l'essentiel de ses financements de campagne proviennent de banques.... Goldman Sachs en est le second contributeur ! Ceci permet au passage de noter qu'il est trés facile de faire en sorte que les gauches du monde entier (en particulier la gauche Française) se prosternent devant le candidat de Wall Street: il suffit que le candidat soit métisse, alors tout lui sera autorisé !

Ne parlons évidemment pas de la composition du staff de la Maison Blanche, tiré tout droit des conseils d'administration de Manhattan. Bill Daley, le Chief of Staff, vient de la sulfureuse banque d'investissement JP Morgan; il y avait avant lui Rahm Emmanuel qui venait lui de Freddie Mac. Lawrence Summers, au Conseil Economique, était l'un des artisans de la mise à mort du Glass-Steagall Act. Peter Orszag est maintenant haut-placé de Citigroup. Timothy Geithner est passé par la FED de New-York...


Pour en savoir plus à ce sujet je recommande vivement le film documentaire Inside Job dont voici la bande-annonce:







Cachez ce sein que je ne saurais voir !

La commissaire européenne à la Justice, Viviane Reding, a déclaré qu'il serait illégal à partir de Décembre 2012, de pratiquer des tarifs d'assurance différents pour les hommes et les femmes: "une compagnie d'assurance ne doit pas faire distinction entre les femmes et les hommes et tous les consommateurs doivent être traités sur un pied d'égalité", a-t-elle expliqué.

Cette chronique pourrait fournir matière à discuter de ces lois pondues à Bruxelles par des commissaires que personne ne connait et dont le pouvoir excède largement celui de tout Ministre national d'un gouvernement élu, mais elle présente un autre intérêt: elle est une petite manifestation en elle-même anecdotique, mais qui démontre l'absurdité de l'idéologie dominante des luttes contre les discriminations et par extension, de l'antiracisme.

Cette loi semble offusquer beaucoup de gens alors qu'elle n'est pourtant que la simple application de principes idéologiques pour lesquels on se montre moins sévère; or, si l'application d'un principe est absurde, il faut en tirer les conséquences et contester ledit principe. Je suis également pour qu'on cesse de prendre en compte l'âge ou les éventuels handicaps dans les tarifs des assurances: décide-t-on de problèmes de vue, ou de sa date de naissance ? Non. Il est donc scandaleux d'en tenir compte - de "discriminer", donc, les clients. Ne nous limitons pas aux tarifs d'assurances. Allons plus loin: pourquoi le maladroit, l'inattentif, l'étourdi, devraient-ils payer plus leur assurance ? Ont-ils plus d'accidents parce que ceci leur plait d'en avoir ? Non. Il est donc scandaleux de les "discriminer" eux aussi.

On le voit donc, les théories sur les "discriminations" comportent en réalité en leur sein, et de façon paradoxale, une propension à araser les "Différences", et à nier leurs manifestations dans la vie sociale. Et pourtant, si la "Différence" existe en matière philosophique et dans l'art de la rhétorique politique, alors ce par quoi elle existe, ce par quoi elle se manifeste, ce par quoi elle se remarque dans la vie sociale, existe tout autant ! Si donc encore, un des attributs de la vieillesse est d'être moins disposé à ce qui demande de  l'attention et des réflexes, eh bien soit ! qu'on assume pleinement qu'un vieillard ait de plus grands risques de causer des accidents au volant.

L'idéologie de notre temps se manifeste par une extrême pudibonderie dès qu'il s'agit de définir ce qui est; aprés tout,l'activité de définir consiste en grande partie à discriminer, car dire ce  qu'une chose est revient partiellement à dire ce qu'elle n'est pas. Notre société est donc à l'aise quand il s'agit de manipuler des idées et des concepts ("Vieux", "Femme", "Arabe"...), mais devient soudainement allergique aux mots qu'il faut pourtant bien employer pour définir cette "différence" et dire par quoi elle est précisément différente. Curieux paradoxe, curieuse chasteté dont l'ordre est en réalité religieux. Chaque Église et chaque époque ont leurs dogmes, leurs tabous, et leurs hérétiques.

Concluons avec une petite incursion littéraire dans une autre époque et dans d'autres moeurs:
Quelle serait une société universelle qui n’aurait point de pays particulier, qui ne serait ni française, ni anglaise, ni allemande, ni espagnole, ni portugaise, ni italienne, ni russe, ni tartare, ni turque, ni persane, ni indienne, ni chinoise, ni américaine, ou plutôt qui serait à la fois toutes ces sociétés ? Qu’en résulterait-il pour son intelligence, ses mœurs, ses sciences, ses arts, sa poésie ? Vous dînerez à Paris, et vous souperez à Pékin, grâce à la rapidité des communications ; à merveilles ; et puis ? Comment s’exprimeraient des passions ressenties à la fois à la manière des différents peuples dans les différents climats ? Comment entrerait dans le langage cette confusion de besoins et d’images produits des divers soleils qui auraient éclairé une jeunesse, une virilité et une veillesse communes ? Et quel serait ce langage ? De la fusion des sociétés résultera-t-il un idiome universel, ou bien y aura-t-il un dialecte de transaction servant à l’usage journalier, tandis que chaque nation parlerait sa propre langue, ou bien les langues diverses seraient-elles entendues de tous ? Sous quelle règle semblable, sous quelle loi unique existerait cette société panthéiste? Quelle foi ou quelle incrédulité serait adoptée par les Chrétiens de toutes les sectes, par les Juifs, les Mahométans d’opinions variées, par les Bouddhistes, les adorateurs de Foe et les idolâtres ? Comment trouver place sur une terre agrandie par la puissance d’ubiquité, et rétrécie par les petites proportions d’un globe fouillé partout ? Il ne resterait qu’à demander à la science le moyen de changer de planète.




Chateaubriand, Mémoires d'Outre-Tombe

mardi 29 mars 2011

Libye 2011 et Iran 1953.

Nous commençons à devenir familiers du schéma qui s'applique à quasiment toutes les guerres que l'Occident a conduites depuis plusieurs décennies: d'abord une émotion mondiale, unanimement partagée; puis une urgence politique; enfin, l'intervention de l'Occident dans un cataclysme de déflagrations, de métal déchiqueté et de béton pulvérisé.



Depuis la première guerre en Irak, nous suivons nos bombardiers en direct et nous voyons le front avancer en direct, jusqu'à approcher la capitale. Aujourd'hui, les rebelles butent à Syrte. Quels rebelles exactement ? L'opinion a été abreuvée de ce terme depuis des mois avec la révolution Tunisienne... mais quels sont ces rebelles Libyens dont on apprenait qu'ils avaient abattus par erreur un de leurs avions ? Quels rebelles passent en quelques jours; des bâtons et des pierres, aux avions de chasses ? Surtout, notre pays ayant été le premier a reconnaître politiquement ces révolutionnaires, après que Bernard-Henri Lévy les a rencontrés, dans quelle alliance sommes-nous donc désormais engagés ?

L'histoire des derniers conflits m'a appris à me méfier systématiquement dans les temps qui accompagnent le déclenchement d'une intervention à l'étranger... Les armes de destruction massives en Irak, Al-Qaïda en Afghanistan, les couveuses débranchées par les soldats de Saddam au Koweït, les "nouveaux camps de la mort" en Serbie... tout nous indique que la seule attitude raisonnable quand tous les doigts se pointent vers un dicateur en criant "les Droits de l'Homme !", c'est celle du scepticisme et du doute.

Un premier élément conforte celui qui demeure circonspect devant les raisons qui poussent à intervenir: l'interview d'un chef rebelle Lybien par le journal Italien Sole 24 Ore. L'interview, ignorée par les média Français, est consultable sur le site Anglais du Telegraph. On y apprend qu'Al-Hasidi a recours à des soldats d'Al-Qaïda; on y apprend également que ce Jihadiste fut un des leaders du Libyan Islamic Fighting Group. Ceci est confirmé dans le Washington Times également:
A former leader of Libya’s al Qaeda affiliate says he thinks “freelance jihadists” have joined the rebel forces, as NATO’s commander told Congress on Tuesday that intelligence indicates some al Qaeda and Hezbollah terrorists are fighting Col. Moammar Gadhafi’s forces.

Ce groupe armé synthétise toutes les ambiguïtés des mouvances proches d'Al-Qaïda: à la fois soutenu par des services Occidentaux (MI6 Anglais), tout en étant mis sur liste noire par l'ONU pour terrorisme; toujours est-il que la récente résolution 1973 votée à la hâte établi de fait un soutien armé à cette mouvance !

Un second élément conforte nos doutes: Khaddafi a fait publiquement état de ses intentions de nationaliser le pétrole en 2009 (voir ici). On comprend donc bien que les sympathies de nos pays pour un tyran de plus, trouvent aujourd'hui leurs limites en Libye, alors qu'elles perdurent et prospèrent sous d'autres contrées tout aussi tyranniques mais plus accommodantes en terme d'exploitation pétrolière: Bahreïn, mais surtout l'Arabie Saoudite.

Mais surtout, ce dernier élément nous permet de faire un parallèle intéressant et pertinent avec un événement géopolitique singulier: le coup d'état orchestré par les USA contre Mossadegh en 1953 en Iran. Ce dernier, démocratiquement élu, avait décidé de nationaliser le pétrole. Sa chute ne tarda pas, aprés des émeutes dont nous apprendrons plus tard qu'elles étaient financées par la CIA via l'Opération AJAX. Les Etats-Unis ont reconnu il y a quelques années, soit un demi-siècle plus tard, leur implication dans cette destitution...